12 hommes en
colère
Le rideau va se lever sur cette scène, sur cette
aventure humaine plutôt, qui n’a pas pris une ride depuis sa création en 1953
(tout un symbole !) au théâtre et 1957 au cinéma : « 12 hommes
en colère ». Mais en colère contre quoi, contre qui ?
·
Les colères et les prisons
Contre l’insupportable huis-clos de cette salle
étouffante ? Contre le huis-clos pesant de la responsabilité lourde, trop
lourde de la décision judiciaire à prendre pour ce groupe de 12 jurés sans
liens et si divers qui doit paradoxalement trouver l’unanimité ? Contre le
huis-clos pratique du masque social dont chacun s’affuble, ou de celui des
certitudes, voire de la mauvaise foi, dans lesquelles certains
s’enferment ? Contre le huis-clos douloureux des souffrances personnelles
profondes que portent bon nombre des jurés
comme une prison étouffante : la haine raciale, le chômage, la
fatigue, le conflit familial… ?
Alors on va chercher des échappatoires artificielles,
des pirouettes pour sortir de cette nasse. D’abord décider vite pour vaquer aux
loisirs personnels ; les cent pas ensuite et les silences ; les
blagues de certains, les fenêtres ou la fraîcheur de l’eau des toilettes ;
la pression ou l’interventionnisme des uns pour peser sur l’avis des autres…
Peu importe alors que l’erreur judiciaire fasse
l’unanimité ! Puisqu’il est coupable ! C’est l’évidence ! On est
en prison d’avoir raison !
·
La libération
Mais le seul qui va réussir à faire sortir chacun de
son abri, de sa caverne, voire de sa prison de certitudes, c’est symboliquement
l’architecte, qui va construire la réflexion. En effet c’est celui qui va ouvrir
pour chacun les fenêtres du doute ; éclairer les faits et y mettre la lumière ;
mesurer les inconnues ; échafauder les hypothèses et le
raisonnement ; apporter l’outil symbolique, ce couteau, à la fois l’arme
du crime mais aussi l’instrument de la décision, le symbole du nœud qu’il faut
trancher.
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Une grande œuvre
Comme toutes les grandes œuvres artistiques, celle-là
n’a pas pris une ride ni dans la forme ni dans le message.
C’est d’abord une incroyable dramaturgie forte des
trois unités de la tragédie classique, rythmée par les rebondissements des
votes successifs, par la force de la parole et le poids des silences, par les
résistances virulentes au tout début ou les abandons douloureux comme à la fin
l’ultime chagrin du père détruit…
Le succès de cette œuvre, c’est aussi son humanisme.
Elle présente en effet la force de la fable dont le récit ne fait que préparer
la morale ou la leçon. Ici on peut avoir raison seul contre tous et en
convaincre les autres, patiemment, méthodiquement, sans violence : la
liberté de penser, la raison démocratique, la vérité et la justice finissent
par triompher des préjugés.
Selon les mots du philosophe humaniste angevin Jean
Bodin, « Il n’est de richesse que d’homme »… même en
colère !
Gérard BOUSSION
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